Noa Blanche Beschorner
Sam Hurtubise
Emiliano Moreno Quesada
Text by Samuel Terry Pitre
4577 Hutchison, Montreal, Canada
July 31 - August 9, 2025
Opening July 31, 6-9PM
Gilles Deleuze débute son ouvrage Le pli en affirmant que « le baroque ne renvoie
pas à une essence mais plutôt à une fonction opératoire, à un trait. » Il y voit un
assemblage de tous les mouvements artistiques, de toutes les techniques qui
le précèdent, de tous les plis. Cette notion de pli deleuzien existe par-delà
le baroque, elle se retrouve au cinéma. Ce pli, c’est celui du montage, de
l’assemblage de la matière en tant que fonction opératoire. Le montage plie les images
et la reliure échappe à l’œil du spectateur, elles sont successives et immédiates.
Le pli y est invisible. La véritable « magie du cinéma » est juste là, dans l’entre-deux.
Une magie qui ne relève pas de la métaphore, mais de la pratique, un tour de passe-passe.
C’est celle de Jacques Rivette paré d’un chapeau, de gants blancs, d’une baguette et
puis « pouf ! », une image disparue comme une hirondelle dans une cage aplatie.
En contrepartie, un assemblage plastique permet d’intégrer les entrechoses à même les
choses. L’on peut observer les arêtes d’une sculpture, la reliure d’un livre et, dans
un contexte d’exposition, l’espace qui sépare ou plutôt lie les œuvres. À lui seul,
le geste d’assemblage est une intervention qui a un potentiel de transformation du réel.
Mettre à côté, c’est provoquer une possibilité neuve. Positionner deux images côte à côte
déclenche un dialogue déterminé par l’intervention de l’observateur. Les mêmes images
projetées en succession concèdent une liberté plus partielle au regard. Au cinéma, les
images fixes bougent temporellement, vers l’avant, sans que l’on puisse s’arrêter, revenir
ou alterner. Certes, il est possible de faire toutes ces choses, mais il en va de la tutelle
du monteur.e. L’assemblage cinématographique est autoritaire. Chez Straub/Huillet cette
autorité prend la forme de blocs de réel. Chaque bloc se veut être une matière première
que l’on assemble comme une courtepointe. Sur un niveau, la matière image (acteurs,
son direct, cadre) est assemblée et sur un autre niveau la matière temps, incarnée par
la distance entre la temporalité de la documentation et celle de l’écriture du texte original.
Dans le contexte de films d’archives, la matière transformée devient la matière première. L’on monte des films déjà montés, l’on réassemble des images déjà assemblées. Le geste créateur est celui de la découpe. Une matière précédemment chargée de sens est altérée, en transformant le signifiant, l’on transforme le signifié. Chez Chris Marker, les archives analogiques sont mariées aux numériques, la vidéo à la photo, le son direct à la narration. Les époques se succèdent dans l’instantanéité et le spectateur remplit le saut. La jonction de deux images en suggère une troisième. Il y a des mondes entre les mondes. Il y a des mondes dans le pli.
À la racine du mythe capitaliste, il y a une caractérisation ontologique de l’humain, le condamnant à être et avoir été invariablement concurrentiel au courant de son histoire. Cette synthèse simpliste et arbitraire justifie les fondements idéologiques de ce mode d’organisation économique. L’on pourrait pareillement recourir à d’autres propriétés « essentiellement » humaines telles que l’empathie ou la solidarité pour justifier les principes fondateurs d’une économie. Cependant, le capitalisme défend que l’humain prédateur soit l’incarnation qui précède et surplombe toutes les autres. Si l’on adhère à cette proposition, l’on adhère à l’idée selon laquelle l’humain peut être réduit à sa volonté de compétitionner, accaparer et dominer. Le capitalisme nous dérobe non seulement de nouveaux possibles, mais également d’anciens possibles. Il efface et tord tout contre-exemple historique en fonction de sa propre courbature.
L’économie altère le matériel comme l’immatériel. Elle conditionne le périmètre de l’imaginaire. Le capitalisme ne justifie pas son existence en appelant à sa supériorité morale, mais par l’intermédiaire du réalisme. Il ne prétend pas être le meilleur mode d’organisation économique, il prétend être le seul. Ainsi, toute idéologie contemporaine, économique ou non, se doit de s’inscrire à l’intérieur du prisme de sa dernière itération, le néolibéralisme. Cette doctrine rend plus difficile que jamais la défense de mondes imaginés puisqu’elle assoit sa légitimité sur l’impossibilité de leurs existences. Le modèle néolibéral est incapable de produire ou d’interpréter un réel qui lui est extérieur. Toute alternative matérielle, politique ou économique est inadmissible et qualifiable d’utopique. Le spectre du réel est réduit à ce qui est possible d’après le dogme du libre-échange et de la privatisation des entreprises publiques. L’idéologie apparait indestructible, car il suffit de croire en son omnipotence pour la défendre, sans même y adhérer.
La notion de futur paraît abolie, comme si elle appartenait désormais au passé. Dans la conscience collective contemporaine, le futur se limite à une variante d’un monde actuel paré d’altérations mineures, une accélération exponentielle du capitalisme ou un retour à des modes de fonctionnement conservateurs soi-disant traditionnels. Ce « futur conservateur » pourrait être méprit pour une fracture, mais constitue une preuve de l’appauvrissement de l’imaginaire puisqu’il fait appel à des stéréotypes culturels préexistants et alimentés par des convictions capitalistes. Via le prisme néolibéral, les mondes imaginés paraissaient impossibles alors que les mondes fantasmés fourmillent. La figure du néoconservateur est un produit de ce fantasme. Les notions de domination désabusée et d’individualisme normalisé par le néolibéralisme nourrissent la xénophobie, l’homophobie et la désolidarisation de classe. Le néoconservateur est à la recherche des conditions matérielles de son idéologie qu’il se doit d’ancrer dans le réel afin de crédibiliser son fantasme. L’usage de fausses statistiques et de faits divers anecdotiques, caractéristique de son discours, lui paraît légitime dès lors que les conclusions confirment ses propres biais. Ce qui lui est extérieur est autre et ce qui est autre ne peut exister.
-Samuel Terry Pitre








Noa Blanche Beschorner
Exercice d'assemblage (1), 2025
IMAX still frame transferred to 35 mm slide, archival inkjet print
25 x 17.5 in, framed

Emiliano Moreno Quesada
Chairs, 2025
Chairs, tarpaulin, rope
26 x 22 x 35 in

Noa Blanche Beschorner
Exercice d'assemblage (6), 2025
IMAX still frames transferred to 35 mm slide, archival inkjet print
25 x 17.5 in, framed

Noa Blanche Beschorner
Exercice d'assemblage (5), 2025
IMAX still frames transferred to 35 mm slide, archival inkjet print
25 x 17.5 in, framed

Emiliano Moreno Quesada
Das Kapital, 2025
Lamp, tea set
Variable dimensions


Noa Blanche Beschorner
Exercice d'assemblage (2), 2025
IMAX still frames transferred to 35 mm slide, archival inkjet print
25 x 17.5 in, framed

Noa Blanche Beschorner
Exercice d'assemblage (3), 2025
IMAX still frames transferred to 35 mm slide, archival inkjet print
25 x 17.5 in, framed

Noa Blanche Beschorner
Exercice d'assemblage (4), 2025
IMAX still frames transferred to 35 mm slide, archival inkjet print
25 x 17.5 in, framed

Samuel Hurtubise
Conducting the, 2025
Record jacket, sleeve
12 x 12 in

Samuel Hurtubise
Glück ist wie ein Schmetteling, 2025
Record jacket, sleeve
12 x 12 in


Emiliano Moreno Quesada
Barrel, 2025
Nightstand, tire
29 x 26 x 26 in


Samuel Hurtubise
Serenade for lovers, 2025
Box set, sleeves
12.5 x 12.5 x 3.5 in



Samuel Hurtubise
Untitled, 2025
Metal typeset
Variable dimensions
Typeset ornaments installed on the door frame between exhibition rooms.

Emiliano Moreno Quesada
Neuro Fuzzy, 2025
Table, rice cooker, tie down strap
53 x 42 x 30 in



Emiliano Moreno Quesada
Neuro Fuzzy, 2025
detail

Samuel Hurtubise
Love letters in the sand, 2025
Record jacket, sleeve
12 x 12 in
installation view


Samuel Hurtubise
The World... is the answer, 2025
Record jackets, sleeves
14.5 x 12 in

Samuel Hurtubise
The World... is the answer, 2025
detail

Noa Blanche Beschorner
Exercice d'assemblage (7), 2025
IMAX still frames transferred to 35 mm slide, archival inkjet print
25 x 17.5 in, framed
Photos by Emiliano Moreno Quesada